BingHAN

Michel SICARD
Jean Daniel MOHIER
Bing Han ou la médecine du rêve

On croirait qu'elle égrène les litanies de la misère. A travers ses médicaments récupérés, écossés, elle fait le portrait des symptômes qui l'habitent. Son art symptomatise ce qui du corps jamais ne s'affiche. Rejetées de leurs alvéoles, de leurs plaquettes, mais pourtant là, ces capsules qu'on a commencé de prendre ou qu'on n'a pas pris forment un chapelet de maux dont la vue suppose la souffrance et l'horreur. Mais elle ne fait pas dans l'horrible au contraire. Une barrière invisible efface ce chant de douleur. Par leur présentation même, moderniste et commerciale, comprimés colorés ou pilules gourmandes révèlent une chimie des profondeurs, artificielle, artificieuse, et changeante. Les dessins de Bing Han ont la vigueur d'un nouveau style, très kitsch, à la fois en fête et en parfaite déréliction. Le médicament ainsi évoqué dit l'hystérie de l'image, qui s'affiche comme masque et emblème d'une société mue par la terreur ou les bienfaits chimiothérapiques.

Les trois cents tableautins de son Journal intime se présentent comme un inventaire écartelé et une promenade dans un corps-territoire neuf et débridé, ouvert à tous les maux, mais à tous les remèdes. Avec les médicaments, ces molécules sophistiquées qui peuvent changer nos humeurs c'est ce que croyait déjà Freud il n'y a plus de pulsion latente, tout s'extériorise. L'inconscient se met à la fenêtre. Dans ses litanies du malade potentiel que nous sommes, et dont elle est notre témoin, Bing Han fait la liste des souffrances du monde, et de ses hantises, personnelles et sociales, chagrins d'amour ou difficultés de circulation, comme autant de péchés, rédimés par l'image commerciale et fluo qui met en scène le mal dans un savant fétichisme. Nos médicaments sont des postures sado-masochistes offertes avec tant d'atours qu'ils révèlent l'illusion du monde, du corps et de l'être, et le force à tenir contre les caprices de l'adversité. La prise de ces drogues par le sujet révèle la déchirure de l'enveloppe corporelle. Ces pilules roses ou jaunes, ces comprimés bruns ou blancs sont agrémentés ou encadrés de fils plus ou moins lisibles, qui cherchent à renouer avec une harmonie perdue. Ils dessinent des liens infiniment ténus, mais nombreux, où la pilule s'enkyste dans un mal délicieux, et s'en libère. Ils se font objets enfantins, jouets, feux rouges ou bagnoles, ils sont chimériques ces médicaments, qui travaillent nos forces et notre mental : ils disent la cyclothymie d'un monde amoureux (un dessin écrit d'un fil "je t'aime" avec un comprimé sur le i), onirique, ou infernal. Perdus dans une bouteille à moitié vide, ou un nuage inquiétant, ils dessinent une nouvelle physiologie de nos sentiments, de nos transports, de nos flux intérieurs énoncés dans un étrange babil de prescriptions indescriptibles que nous rendent les titres des oeuvres, en cet envers bricolé par un sourire et une main heureuse.

Michel Sicard